Laideur et beauté

Sa trop grande beauté m'obsède;
C'est un masque aisément trompeur.
Oui, je voudrais qu'elle fût laide,
Mais laide, laide à faire peur.
Belle ainsi faut-il que je l'aime!
Dieu, reprends ce don éclatant;
Je le demande à l'enfer même:
Qu'elle soit laide et que je l'aime autant.

À ces mots m'apparaît le diable;
C'est le père de la laideur:
Rendons-la, dit-il, effroyable,
De tes rivaux trompons l'ardeur.
J'aime assez ces métamorphoses.
Ta belle ici vient en chantant:
Perles, tombez; fanez-vous, roses.
La voilà laide et tu l'aimes autant.

Laide! moi! dit-elle, étonnée.
Elle s'approche d'un miroir,
Doute d'abord, puis, consternée,
Tombe en un morne désespoir.

Pour moi seul tu jurais de vivre,
Lui dis-je, à ses pieds me jetant:
À mon seul amour il te livre.
Plus laide encor, je t'aimerais autant.

Ses yeux éteints fondent en larmes,
Alors sa douleur m'attendrit:
Ah! rendez, rendez-lui ses charmes.
Soit! répond Satan qui sourit.
Ainsi que naît la fraîche aurore,
Sa beauté renaît à l'instant.
Elle est, je crois, plus belle encore;
Elle est plus belle et moi je l'aime autant.

Vite, au miroir elle s'assure
Qu'on lui rend bien tous ses appas;
Des pleurs restent sur sa figure,
Qu'elle essuie en grondant tout bas.
Satan s'envole, et la cruelle
Fuit et s'écrie en me quittant:
Jamais fille que Dieu fit belle
Ne doit aimer qui peut l'aimer autant.



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