BONUS: Ne t'en vas pas, gamin

Aujourd'hui c'est l'été, mais ton regard se fige
Comme un ruisseau gelé quand l'personnel t'oblige
À prendre tes cachets, à fermer la télé
C'est peut-être juillet, mais on dirait janvier
La grisaille ravage tes courts cheveux épars
Ton peigne est au chômage tellement, ils se font rares
Et cette espèce d'hiver a fini par blanchir ta barbe de grand-père
Où repose ton sourire

Tu essaies de braver comme quand t'étais garçon
Ces froids qui pourraient tuer ta plus belle saison
À en user tes draps à force de friction
Répétant c'manège-là jusqu'au dernier flacon
T'es là qu'tu t'emmitoufles avec tes couvertures
Mais déjà ton cœur souffre de plusieurs engelures
Tu ne veux pas glisser, tu as peur du ravin
De ne plus remonter et tu nous tiens la main
Ne t'en va pas
J'me suis pas préparée du tout à t'regarder
Plonger à pieds joints dans ce trou creusé pour toi
Et au-dessus duquel un curé te survivra
En prônant des absurdités
Je hais déjà celui qui aurait maquillé d'un teint trop mat
Ton doux visage inanimé ne t'en va guère
Je n'connais même pas les fleurs que tu préfères
Pour te les jeter par-dessus cœur

Ne t'en va pas
Te confiner aux oubliettes, je n'suis pas prête
À te coiffer de cette croix
Où l'on aurait gravé ton nom avec des dates
Que l'on planterait comme un vulgaire plant de tomates
Ne t'en va pas
Nourrir ce grand champ de squelettes

Ne t'en va pas
Ne fais pas ça, ce serait trop bête
Vas-y, respire, n'écoute pas ces maudits docteurs
Qui traitent ton cœur comme un fossile, comme un souvenir
Ne t'en va pas
Ça ferait trop d'monde à consoler
Tant pis pour toi, t'avais qu'à pas tant nous aimer
J't'achèterai pas de jolie boîte en bois verni
Reviens chez toi, dans ta maison et dans ton lit

Dis-moi quel ange, dis-moi quelle volonté divine
Voudrait qu'tu manges des pissenlits par la racine
Ça doit déjà être bourré d'âmes au firmament
Et t'as pas l'droit d'abandonner femme et enfants
Vas-y bats-toi, t'es un vrai lion, sors-nous tes griffes
Ne t'endors pas à l'étage des soins intensifs
C'est pas ton heure et ça n'est pas demain la veille
Que ton grand cœur aura à ce point besoin d'sommeil

Ne t'en va pas
J'vais t'en payer des grands voyages où tu voudras
Au Grand Canyon ou à la plage
Mais pas là-bas où l'monde débarque sans bagages
Je sais qu't'es pas encore rendu au bout d'ton âge
C'est pas fatal simplement parce que c'est critique
Je sais qu't'as mal, je suis peut-être égocentrique

Mais j'te l'demande
Parce que je l'sais qu'j'm'en remettrai pas
Ne t'en va pas
J'me sens pas encore assez grande
Pas assez forte pour te laisser aller cogner
À la vieille porte d'une gourmande éternité
Reviens chez toi et laisse le ciel te mériter
Ça y'est c'est le mois d'août, deux mille, je n'sais plus quoi
Et tu fêtes l'exploit d'avoir su tenir le coup
Ça fait cinq ans déjà qu'tu t'es sorti d'affaires
C'est ton anniversaire, tu es beau comme un roi
Souliers vernis aux pieds, jolie cravate au cou et barbe bien taillée
Tu célèbres avec nous ces quatre-vingts années
Qui te vont tellement bien, toi l'éternel gamin
Des collines enneigées



Credits
Writer(s): Lynda Lemay
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