J'ai 35 ans

J'ai 35 ans et j'n'en r'viens pas
Disons qu'ça n'veut rien dire pour moi
Si c'n'est l'fait que j'commence à apprivoiser
Ce corps capricieux et mutant
J'accepte la trahison d'la peau, des cheveux
J'multiplie d'ailleurs, avec plus ou moins d'succès
Les expériences parapharmaceutiques
À base de shampoing antipelliculaire traitant
À la menthe ou au musc
Selon les soirées arrosées ou non

J'apprécie les cures revitalisantes
Les jets d'bouleau ou d'arbousier
J'aime l'idée d'un jet de Kärcher pour le corps
Des poumons jusqu'à l'estomac
En passant par le gros intestin
Dont ma paroi doit être semblable, aujourd'hui
À des planches poreuses, et merde
J'devrais quand même penser à autre chose

Notre appartement est calme
Et donne sur une rue en sens unique
Bordée d'platanes, torturés jusqu'au moignon
Par des cantonniers sans scrupules
La mairie a d'ailleurs décidé d'les abattre
J'veux dire les arbres
Pour des questions d'sécurité
À cause de l'alcool, des voitures
Ou d'la téléphonie mobile

Les voisins se sont rapidement mobilisés
Ainsi qu'une poignée d'écologistes
En défilant d'vant la mairie
Brandissant des calicots
Où il était question, au feutre vert
De citations orientales sur la nature et les arbres
Des landaus plus ou moins cossus les accompagnaient
Donnant au convoi un caractère agréable
Sincère et printanier

Nous n'avons pas osé nous joindre à eux
Pourtant, il y a quelques mois d'cela
J'étais monté pour la première fois
Jusqu'au dernier étage de l'immeuble
Pour assister à une pendaison d'crémaillère
J'avais longuement hésité
Car mon indifférence envers mes voisins d'palier
M'a souvent donné raison

Vivre en appartement
C'n'est pas seulement apprendre les règles
Mais en imposer
Il faut maint'nir la distance animale nécessaire
Se contenter d'un bonsoir dans l'escalier
Ou d'une modeste analyse météorologique
Ce soir-là, j'n'avais tout simplement
Pas envie d'être seul avec elle
Surtout lorsqu'on entend des rires dopés au champagne
Traverser l'papier à cigarette
Qui m'sert de plafond

J'avais discuté longuement avec un type du 4ème
Qui cherchait depuis un certain temps un emploi
Et sans aucun doute de la compagnie
Nous étions tombés d'accord
Sur l'fait que la piscine n'était pas si loin
Et qu'il fallait dorénavant prendre soin d'nous
Puisque pendant notre jeunesse
On en avait bien profité
J'avais, par conséquent, proposé
À deux, c'est plus stimulant
Des séances de dos crawlé
De brasse papillon, de préférence en soirée

Pourtant, les éclairages de piscine me révulsent
La plupart du temps
Les pulvérisations accidentelles de chlore dans les narines
Me brûlent les sinus
J'ai tout naturellement laissé traîner les choses
D'ailleurs, lui non plus n'm'a pas appelé
Rien à foutre, depuis peu, j'ai recommencé à déconner



Credits
Writer(s): Florent Marchet
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