La Prière / Lettre A Toussenot / Stances A Un Cambrioleur / Lettre A Toussenot
Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
Tandis que des enfants s'amusent au parterre
Et par l'oiseau blessé qui ne sait pas comment
Son aile tout à coup s'ensanglante et descend
Par la soif et la faim et le délire ardent
Je vous salue Marie
Par les gosses battus par l'ivrogne qui rentre
Par l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre
Et par l'humiliation de l'innocent châtié
Par la vierge vendue qu'on a déshabillée
Par le fils dont la mère a été insultée
Je vous salue Marie
Par la vieille qui trébuchant sous trop de poids
S'écrie mon Dieu par le malheureux dont les bras
Ne purent s'appuyer sur une amour humaine
Comme la Croix du Christ sur Simon de Cyrène
Par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne
Je vous salue Marie
Par les quatre horizons qui crucifient le monde
Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe
Par ceux qui sont sans pieds par ceux qui sont sans mains
Par le malade que l'on opère et qui geint
Et par le juste mis au rang des assassins
Je vous salue Marie
Par la mère apprenant que son fils est guéri
Par l'oiseau rappelant l'oiseau tombé du nid
Par l'herbe qui a soif et recueille l'ondée
Par le baiser perdu par l'amour redonné
Et par le mendiant retrouvant sa monnaie
Je vous salue Marie
Paris 3 février 1949
Mon cher vieux,
Je passe le plus clair de mon temps en la compagnie des gens de la chanson. Inutile de nous étendre sur leur mentalité. Entouré de cinquante personnes des trois sexes, je me rends à cette évidence: je suis seul, ils n'existent pas, les subir m'est pénible.
Deux chansons ont été retenues, mais le plus important reste à faire: trouver une vedette pour lancer ça et en faire un succès.
La vie devient de plus en plus dure. Nous avons absorbé le montant de ton mandat. Jeanne n'a plus rien à nous offrir et quelquefois elle en souffre affreusement. Moi je n'ai besoin de rien. Mais Jeanne a des besoins pour moi. Rien ne lui est plus douloureux que de ne pouvoir donner. J'aurais une maison tranquille, j'y serais seul, peu m'importerait la mauvaise humeur de mon ventre. Mais Jeanne est dans la misère à cause de mes dons poétiques. C'est très choquant.
Robin est le seul type que je peux taper actuellement. Or, pour des raisons dont il ne saurait être question ici, et que tu connaîtras quelque jour, je me refuse à le faire.
Malgré notre pauvreté, je ne veux pas que tu nous envoies de l'argent. Tu as assez à faire de ton côté. D'ailleurs, il me faudrait accuser réception de tes mandats. Tu vois cela d'ici: je dépense l'argent du mandat pour te remercier du mandat!C'est amusant comme toute absurdité.
Perds également, je te prie, cette manie de me demander ce que je pense de ceci que tu as écrit et de cela que tu n'écris pas. Ignores-tu ton incapacité à écrire quoi que ce soit qui ne m'agrée point? Philosophe exténuant! La philosophie m'ennuie toujours autant. Que tu le veuilles ou non, elle sent le professeur, le didactisme, la dialectique. Que veux-tu que je fasse de ces architectures de la raison?
Comment se fait-il que tu ne saches pas par coeur "Les enfants qui chapardent des crânes terreux"? J'en suis très surpris car je t'en croyais l'auteur. Si tu continues de la sorte, je t'adresse une lettre de rupture à la façon d'Haller. J'ai longuement réfléchi, nous ne pouvons plus nous fréquenter, et caetera et caetera...
J'ai découvert "Il n'y a pas d'amour heureux" d'Aragon. Excellente chose. Je relis aussi Rimbaud, ce génie m'accapare. Qu'est-ce que je vais faire là-bas, je ne sais pas me tenir, je ne sais pas parler.
Corne d'Auroch meurt d'ennui. Il s'ennuierait dans les étoiles. Dernièrement, je lui ai envoyé ta phrase transposée (le fameux Il n'est pas Protée comme je l'avais cru tout d'abord). J'ai écrit: On a cru qu'il avait les grandes eaux de Versailles dans la tête: c'était celles du robinet. Il semble content de cette trouvaille.
L'encre baisse dans mon encrier. À mon tour, je vais prendre la surface de l'eau pour écritoire. Rien ne nous aura été épargné et c'est très bien ainsi. Nous pourrons mourir en souriant. J'étudie la musique. Non, ton Beethoven ne m'intéresse pas. Que veux-tu que je te dise d'un dieu de la musique? D'ailleurs l'orchestration me paraît peu compatible avec l'incantation.
Je t'embrasse
Georges
Prince des monte-en-l'air et de la cambriole
Toi qui eus le bon goût de choisir ma maison
Cependant que je colportais mes gaudrioles
En ton honneur j'ai composé cette chanson
Sache que j'apprécie à sa valeur le geste
Qui te fit bien fermer la porte en repartant
De peur que des rôdeurs n'emportassent le reste
Des voleurs comme il faut c'est rare de ce temps
Tu ne m'as dérobé que le strict nécessaire
Délaissant dédaigneux l'exécrable portrait
Que l'on m'avait offert à mon anniversaire
Quel bon critique d'art mon salaud tu ferais
Autre signe indiquant toute absence de tare
Respectueux du brave travailleur tu n'as
Pas cru décent de me priver de ma guitare
Solidarité sainte de l'artisanat
Pour toutes ces raisons vois-tu je te pardonne
Sans arrière-pensée après mûr examen
Ce que tu m'as volé mon vieux je te le donne
Ça pouvait pas tomber en de meilleures mains
D'ailleurs moi qui te parle avec mes chansonnettes
Si je n'avais pas dû rencontrer le succès
J'aurais tout comme toi pu virer malhonnête
Je serais devenu ton complice qui sait
En vendant ton butin prends garde au marchandage
Ne vas pas tout lâcher en solde aux receleurs
Tiens-leur la dragée haute en évoquant l'adage
Qui dit que ces gens-là sont pis que les voleurs
Fort de ce que je n'ai pas sonné les gendarmes
Ne te crois pas du tout tenu de revenir
Ta moindre récidive abolirait le charme
Laisse-moi je t'en prie sur un bon souvenir
Monte-en-l'air mon ami que mon bien te profite
Que Mercure te préserve de la prison
N'aie pas trop de remords d'ailleurs nous sommes quittes
Après tout ne te dois-je pas une chanson
Post-Scriptum si le vol est l'art que tu préfères
Ta seule vocation ton unique talent
Prends donc pignon sur rue mets-toi dans les affaires
Et tu auras les flics même comme chalands
Tandis que des enfants s'amusent au parterre
Et par l'oiseau blessé qui ne sait pas comment
Son aile tout à coup s'ensanglante et descend
Par la soif et la faim et le délire ardent
Je vous salue Marie
Par les gosses battus par l'ivrogne qui rentre
Par l'âne qui reçoit des coups de pied au ventre
Et par l'humiliation de l'innocent châtié
Par la vierge vendue qu'on a déshabillée
Par le fils dont la mère a été insultée
Je vous salue Marie
Par la vieille qui trébuchant sous trop de poids
S'écrie mon Dieu par le malheureux dont les bras
Ne purent s'appuyer sur une amour humaine
Comme la Croix du Christ sur Simon de Cyrène
Par le cheval tombé sous le chariot qu'il traîne
Je vous salue Marie
Par les quatre horizons qui crucifient le monde
Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe
Par ceux qui sont sans pieds par ceux qui sont sans mains
Par le malade que l'on opère et qui geint
Et par le juste mis au rang des assassins
Je vous salue Marie
Par la mère apprenant que son fils est guéri
Par l'oiseau rappelant l'oiseau tombé du nid
Par l'herbe qui a soif et recueille l'ondée
Par le baiser perdu par l'amour redonné
Et par le mendiant retrouvant sa monnaie
Je vous salue Marie
Paris 3 février 1949
Mon cher vieux,
Je passe le plus clair de mon temps en la compagnie des gens de la chanson. Inutile de nous étendre sur leur mentalité. Entouré de cinquante personnes des trois sexes, je me rends à cette évidence: je suis seul, ils n'existent pas, les subir m'est pénible.
Deux chansons ont été retenues, mais le plus important reste à faire: trouver une vedette pour lancer ça et en faire un succès.
La vie devient de plus en plus dure. Nous avons absorbé le montant de ton mandat. Jeanne n'a plus rien à nous offrir et quelquefois elle en souffre affreusement. Moi je n'ai besoin de rien. Mais Jeanne a des besoins pour moi. Rien ne lui est plus douloureux que de ne pouvoir donner. J'aurais une maison tranquille, j'y serais seul, peu m'importerait la mauvaise humeur de mon ventre. Mais Jeanne est dans la misère à cause de mes dons poétiques. C'est très choquant.
Robin est le seul type que je peux taper actuellement. Or, pour des raisons dont il ne saurait être question ici, et que tu connaîtras quelque jour, je me refuse à le faire.
Malgré notre pauvreté, je ne veux pas que tu nous envoies de l'argent. Tu as assez à faire de ton côté. D'ailleurs, il me faudrait accuser réception de tes mandats. Tu vois cela d'ici: je dépense l'argent du mandat pour te remercier du mandat!C'est amusant comme toute absurdité.
Perds également, je te prie, cette manie de me demander ce que je pense de ceci que tu as écrit et de cela que tu n'écris pas. Ignores-tu ton incapacité à écrire quoi que ce soit qui ne m'agrée point? Philosophe exténuant! La philosophie m'ennuie toujours autant. Que tu le veuilles ou non, elle sent le professeur, le didactisme, la dialectique. Que veux-tu que je fasse de ces architectures de la raison?
Comment se fait-il que tu ne saches pas par coeur "Les enfants qui chapardent des crânes terreux"? J'en suis très surpris car je t'en croyais l'auteur. Si tu continues de la sorte, je t'adresse une lettre de rupture à la façon d'Haller. J'ai longuement réfléchi, nous ne pouvons plus nous fréquenter, et caetera et caetera...
J'ai découvert "Il n'y a pas d'amour heureux" d'Aragon. Excellente chose. Je relis aussi Rimbaud, ce génie m'accapare. Qu'est-ce que je vais faire là-bas, je ne sais pas me tenir, je ne sais pas parler.
Corne d'Auroch meurt d'ennui. Il s'ennuierait dans les étoiles. Dernièrement, je lui ai envoyé ta phrase transposée (le fameux Il n'est pas Protée comme je l'avais cru tout d'abord). J'ai écrit: On a cru qu'il avait les grandes eaux de Versailles dans la tête: c'était celles du robinet. Il semble content de cette trouvaille.
L'encre baisse dans mon encrier. À mon tour, je vais prendre la surface de l'eau pour écritoire. Rien ne nous aura été épargné et c'est très bien ainsi. Nous pourrons mourir en souriant. J'étudie la musique. Non, ton Beethoven ne m'intéresse pas. Que veux-tu que je te dise d'un dieu de la musique? D'ailleurs l'orchestration me paraît peu compatible avec l'incantation.
Je t'embrasse
Georges
Prince des monte-en-l'air et de la cambriole
Toi qui eus le bon goût de choisir ma maison
Cependant que je colportais mes gaudrioles
En ton honneur j'ai composé cette chanson
Sache que j'apprécie à sa valeur le geste
Qui te fit bien fermer la porte en repartant
De peur que des rôdeurs n'emportassent le reste
Des voleurs comme il faut c'est rare de ce temps
Tu ne m'as dérobé que le strict nécessaire
Délaissant dédaigneux l'exécrable portrait
Que l'on m'avait offert à mon anniversaire
Quel bon critique d'art mon salaud tu ferais
Autre signe indiquant toute absence de tare
Respectueux du brave travailleur tu n'as
Pas cru décent de me priver de ma guitare
Solidarité sainte de l'artisanat
Pour toutes ces raisons vois-tu je te pardonne
Sans arrière-pensée après mûr examen
Ce que tu m'as volé mon vieux je te le donne
Ça pouvait pas tomber en de meilleures mains
D'ailleurs moi qui te parle avec mes chansonnettes
Si je n'avais pas dû rencontrer le succès
J'aurais tout comme toi pu virer malhonnête
Je serais devenu ton complice qui sait
En vendant ton butin prends garde au marchandage
Ne vas pas tout lâcher en solde aux receleurs
Tiens-leur la dragée haute en évoquant l'adage
Qui dit que ces gens-là sont pis que les voleurs
Fort de ce que je n'ai pas sonné les gendarmes
Ne te crois pas du tout tenu de revenir
Ta moindre récidive abolirait le charme
Laisse-moi je t'en prie sur un bon souvenir
Monte-en-l'air mon ami que mon bien te profite
Que Mercure te préserve de la prison
N'aie pas trop de remords d'ailleurs nous sommes quittes
Après tout ne te dois-je pas une chanson
Post-Scriptum si le vol est l'art que tu préfères
Ta seule vocation ton unique talent
Prends donc pignon sur rue mets-toi dans les affaires
Et tu auras les flics même comme chalands
Credits
Writer(s): Georges Charles Brassens, Francis Jammes
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