Le fantôme

C'était tremblant, c'était troublant
C'était vêtu d'un drap tout blanc
Ça présentait tous les symptômes
Tous les dehors de la vision
Les faux airs de l'apparition
En un mot, c'était un fantôme

À sa manière d'avancer
À sa façon de balancer
Les hanches quelque peu convexes
Je compris que j'avais affaire
À quelqu'un du genre que j'prefère
À un fantôme du beau sexe

"Je suis un petit poucet perdu"
Me dit-elle, d'une voix morfondue
"Un pauvre fantôme en déroute
Plus de trace des feux follets
Plus de trace des osselets
Dont j'avais jalonné ma route"

"Des poètes sans inspiration
Auront pris, quelle aberration
Mes feux follets pour des étoiles
De pauvres chiens de commissaire
Auront croqué, quelle misère
Mes osselets bien garnis de moelle"

"À l'heure où le coq chantera
J'aurai bonne mine avec mon drap
Plein de faux plis et de coutures
Et dans ce siècle profane où
Les gens ne croient plus guère à nous
On va crier à l'imposture"

Moi, qu'un chat perdu fait pleurer
Pensez si j'eus le cœur serré
Devant l'embarras du fantôme
"Venez, dis-je en prenant sa main
Que je vous montre le chemin
Que je vous reconduise at home"

L'histoire finirait ici
Mais la brise, et je l'en remercie
Troussa le drap d'ma cavalière
Dame, il manquait quelques osselets
Mais le reste, loin d'être laid
Était d'une grâce singulière

Mon Cupidon, qui avait la
Flèche facile en ce temps-là
Fit mouche et, le feu sur les tempes
Je conviai, sournoisement
La belle à venir un moment
Voir mes icônes, mes estampes

"Mon cher, dit-elle, vous êtes fou
J'ai 2000 ans de plus que vous"
"Le temps, madame, que nous importe"
Mettant le fantôme sous mon bras
Bien enveloppé dans son drap
Vers mes pénates je l'emporte

Eh bien, messieurs, qu'on se le dise
Ces belles dames de jadis
Sont de satanées polissonnes
Plus expertes dans le déduit
Que certaines dames d'aujourd'hui
Et je ne veux nommer personne

Au petit jour on m'a réveillé
On secouait mon oreiller
Avec une fougue pleine de promesses
Mais, foin des délices de Capoue
C'était mon père criant "debout
Vains dieux, tu vas manquer la messe"

Mais, foin des délices de Capoue
C'était mon père criant "debout
Vains dieux, tu vas manquer la messe"



Credits
Writer(s): Georges Charles Brassens
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