Eros et Thanatos

Très droits, très bruns poussaient les joncs
Dans leur verte raideur bruissant
Tremblantes lignes d'horizons
Autour du bassin vieillissant

Pierre blanche et grise et pierre noire
Vous crevez encore à fleur d'eau
Au bord, au ras de ma mémoire
Des flots d'années crevant les flots

Dans ce bassin ondulent encore
Souplement au creux de la vase
Des poissons gras à la peau d'or
Des fantômes et des hypostases

À travers le flou du limon
À travers l'éclat des reflets
Ils nous ont posé leur question
Et ont fermé leur porte à clef

Au pied d'un chêne invraisemblable
Un véritable arbre de conte
Un pur ingrédient de fable
Une ombre noire, un mastodonte

Je vis deux amants sur un banc
Mêlant leurs langues et leurs cheveux
Et j'ouvrais tout en me cachant
Mon oeil de poisson trop curieux

Gencives gaies, salives en fête
M'ouvrait leur secret impudique
Devant mon impudeur secrète
Leurs sucs se donnaient la réplique

Je contemplais comme du dedans
Leur désir tout tordu d'ardeur
Et leurs coups de lèvres et de dents
Planqué comme un lutin voyeur

Leurs bras s'enroulaient sur eux-mêmes
Ils m'entouraient, me prenaient moi
Moi pétrifiée par cette scène
De corps, d'amour, de faim, d'effroi

Ils déchiraient la soie diaphane
De mon univers virginal
Soufflaient mes égarements profanes
De leurs haleines cannibales

Et ajoutons que sous ce chêne
Mon amie Mohini me dit
Qu'il existait une géhenne
Au moins autant qu'un paradis

Obéis-moi, murmura-t-elle
Ou bien tu iras en enfer
Maintenant sois sous ma tutelle
Et j'ai obéis pour lui plaire

Aujourd'hui souvent je repense
Aux jardins vert-de-gris et noirs
Fondus dans une même essence
Dans les forêts de ma mémoire
Dans cet endroit où j'ai cru croire

Aujourd'hui souvent je repense
Aux mains câlines et aux tas d'os
Fondus dans une même essence:
Les noces d'Eros et Thanatos

Les noces d'Eros et Thanatos