La colère et la haine

C'était la neuvième, la dixième ou peut-être la onzième fois
Il y avait passé du temps, sa jeunesse, tant d'années, tant de mois
Il savait, en sortant, que ce n'était qu'une affaire de temps
Il finirait bien par être renvoyé chez les siens, les délinquants

Les prisons, disent les politiques, servent la société et l'honneur
Ils parlent de règles, de lois, de justice, de réinsérer les voleurs
Il n'y a vécu que l'indigne, l'insulte et le mépris
De cellules en gardiens, chaque jour, on piétinait sa vie

Il avait eu, derrière ces barreaux, des accès de haine et de colère
Comment se faisait-il que les plus grands escrocs de la terre
Soient traités en chefs d'État, en PDG, avec tous les honneurs
Alors que les plus pauvres sont voués aux pires déshonneurs

Il y a les délits, ceux des grands, ceux des petits
Les petits sont en taule, les grands sont chéris
Ici, tu prends10 ans pour 10 grammes, un vol, ou des voitures
Là, pour 2 millions, c'est du sursis, si t'es du cercle de la magistrature

Vos prisons ne servent à rien, vous le savez, ni à protéger ni à éduquer
Votre système, c'est de nous exploiter et d'assurer aux nantis leur sécurité
Les laissés-pour-compte, les colorés, ne connaissent que vos chaines
Celles de leur pauvreté, d'abord, puis celles de vos injustices et de vos peines

Votre hiérarchie est partout et partout vos doux privilèges
Nos drogues n'ont pas les mêmes noms ni les mêmes sacrilèges
Les nôtres nous condamnent à sombrer sans espoir
Les vôtres vous mènent au sommet de la gloire

C'est donc cela, il y a deux sortes d'alcool, de drogues, de définitions
Les licites pour les riches, qui vous ouvrent les portes des arts et de la création
L'illicite pour les pauvres, qui nous ouvrent les portes du trou et de la détention
Les unes vous élèvent aux oscars, et les autres nous enferment au mitard

Tout est une question de mots pour qui dicte la musique et les paroles
Vos drogues de sont pas des drogues, vos vols ne sont pas des vols,
Vos délits ne font pas de vous des délinquants, et condamnés vous êtes innocents
Vos corruptions sont éphémères, il suffira de vous faire oublier pour un ou deux ans

Lui avait passé sa jeunesse en prison, de trafics maladroits en petits délits
Il connaissait les prisonniers autant que les gardiens du jour et de la nuit
Là il y avait surtout des pauvres, des Noirs, des Latinos, des Arabes brisés
Les gardiens étaient aussi misérables, de couleur, perdus et déracinés

Vos prisons ne servent à rien, vous le savez, ni à protéger ni à éduquer
Votre système, c'est de nous exploiter et d'assurer aux nantis leur sécurité
Les laissés-pour-compte, les colorés, ne connaissent que vos chaines
Celles de leur pauvreté, d'abord, puis celles de vos injustices et de vos peines

Vos prisons sont un miroir qui dit autant de lui qu'il révèle de vous
Il ne faut nier ni les crimes, ni les délits, ni les vols, ni les voyous
Il faut pourtant dénoncer les dérives inhumaines de votre injuste justice
Qui enferme les mêmes, dix fois, comme s'ils étaient l'incarnation du vice

Ce ne sont pas les prisons qui manquent, Messieurs des salons et des cabinets
Si les barreaux éduquaient, il y a bien longtemps que cela se saurait
Ce qui manque c'est l'égalité, le respect, des écoles et des centres sociaux
Que l'on décrète enfin, pour les riches et les pauvres, la même fraternité, les mêmes mots

Vos systèmes carcéraux, à travers le monde, sont une honte pour l'humanité
Ici ou là-bas, la torture, physique ou psychologique, sert à humilier
Vous dites réinsérer quand vos prisons ne font que détruire et briser
La dignité d'une société se mesure, sachez-le, à la façon dont elle traite ses prisonniers

Il était sorti un matin, il y deux mois, et à l'heure où j'écris il y est à nouveau
Un contrôle au faciès, une fuite, et le voilà encore derrière les barreaux
Dormez en paix, c'est un pauvre anonyme, il finira seul, indigne, et oublié
Sur vos écrans de télévision, les riches délinquants resteront célébrés.

Vos prisons ne servent à rien, vous le savez, ni à protéger ni à éduquer
Votre système, c'est de nous exploiter et d'assurer aux nantis leur sécurité
Les laissés-pour-compte, et les colorés, ne connaissent que vos chaines
Celles de leur pauvreté, d'abord, puis celles de vos injustices et de vos peines

Comprendrez-vous un jour sa colère et sa haine
A l'énoncé indigne et répété de ses années de peine?
Il y aura perdu sa jeunesse et son calme
Comme nous aurons vendu notre être et notre âme



Credits
Writer(s): Tariq Ramadan
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