Comme un enfant

Le temps et la vie sont passés si vite
J'ai tant de souvenirs, et de pages écrites
J'étais petite, il me tenait la main
J'étais sa fille, je le sentais si bien

Il m'a accompagnée sans parler
Il avait le regard et j'avais la clef
Cela me suffisait et parfois me blessait
Avec ses blessures, je sais qu'il essayait

Nous marchions ensemble, toujours très proches
On ne disait rien, ma main dans sa poche
Nous allions marcher, déjeuner ou dîner,
La fille comme le père aimait rire et manger

Ces images me reviennent au gré de mes questions
Est-ce bien lui, mon papa, qui ne sait plus mon nom?
Il marche avec peine, au rythme de sa vie
Il a perdu le goût, son esprit s'est enfui

Assis dans son fauteuil, le regard vide
Il semble quitter la vie, tout en restant ici
C'est lui, l'intrus dans la maison
Qui emporte papa, si loin et sans raison

Il ne peut plus parler
Il semble tout oublier
Des sons sans mots
Soupirs sans écho

Parfois je sens sa souffrance
Sa présence est absence
Je parle à mon père comme à un enfant
Secret de la vie, comme une loi du temps

Parfois ses yeux se mouillent et son regard s'anime
Il semble retrouver des souvenirs intimes
Il pleure ses ancêtres, et parle des oubliés
Comme si d'anciennes blessures semblaient se raviver

Où est-il? Où va-t-il? De qui parle-t-il?
Et ma maman qui seule habite encore son île
Le sait-il? Qu'il regarde parfois comme une étrangère
Puis caresse sa main comme on caresse une mère

Assis dans son fauteuil, le regard vide
Il semble quitter la vie, tout en restant ici
C'est lui, l'intrus dans la maison
Qui emporte papa, si loin et sans raison

Les jours se ressemblent, quel est donc le sens?
Maman l'accompagne de sa douce présence
Elle l'aime et si ses yeux encore la reconnaissent
Elle sera là, fidèle, protégeant sa détresse

Ils ont dit maladie, ils ont dit démence
C'est le cycle de la vie, la vieillesse est enfance
Papa se sent si bien avec son arrière-petit-fils
Pas de mots, des sourires, des caresses complices

Je sais qu'il sait et qu'il sent
Combien je l'aime, au-delà du temps
Je sais, je sais et je sais dans ses yeux absents
L'amour qu'il savait et l'amour qu'il sent

Il est jaloux des hommes, les petits et les grands
Il sent le danger comme sentent les enfants
Sa maladie m'a offert une leçon de vie
L'amour est la seule force, la seule énergie

Assis dans son fauteuil, le regard vide
Il semble quitter la vie, tout en restant ici
C'est lui, l'intrus dans la maison
Qui emporte papa, si loin et sans raison

Tu es là papa, je t'aime, et je ne sais pas
Quand Dieu décidera et te rappellera
Je ne sais si tu entendras mes mots et mes prières
Mais sache, papa, que mon amour, est plus fort que la terre

Ton corps est ici, ton esprit est parti
Ta femme t'accompagne et nous sommes ici
La maladie habite ton cerveau troublé
Notre amour habite nos cœurs apeurés

Hier, papa, tu m'as reconnue, et tu as pleuré
Tes larmes étaient un cadeau que je veux préserver
Il faut profiter encore de tes larmes et de tes sourires
La vie s'en va, restera nos mots pour le dire et l'écrire

Tu ne sais plus me dire je t'aime
Mais j'ai vu ton amour au reflet de tes peines
Maman, tes enfants, tes amours
Nous sommes là, papa, et pour toujours

Assis dans ton fauteuil, le regard vide
Tu sembles quitter la vie, tout en restant ici
Et si un jour tu t'en vas, papa
Mon cœur le sait, tu seras encore là



Credits
Writer(s): Tariq Ramadan
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