Mascarade

Je croise quelquefois
De vieux fragments de mon passé
Des dossiers de ma vie
Que je pensais avoir classés
Au fil du vent, au gré du temps
Des proches qui changent de rue
Tracent leur route
Bravent les doutes
Foutent le camp
Sortent du champ
Et puis un soir d'ennui
Ces fantômes effacés surgissent
Leur voix fait froid dans le dos
Ce dos tassé par les années
Leur visage est creusé
Usé, crispé dans un bonsoir
Comme un miroir de mon image
Un vieux mirage dans un couloir
Je pense à cet ami d'enfance
Enfoncé dans la drogue
L'esprit bloqué dans un vieux trip
Le regard mou, les mots pâteux
Le cœur réglé à deux à l'heure
L'aiguille inerte sur le compteur
Le moteur complètement serré
L'intérieur entièrement rouillé
Un morceau de lueur
Coincé au fond de ses yeux ternes
Prouve pourtant que c'est bien lui
Son âme écrasée par la vie
Emprisonnée dans sa carcasse
Fracassée par le temps qui passe
Et casse tout sur son passage
L'insouciance laisse place à la rage
Et voilà qu'aujourd'hui
Je recroise ici par hasard
Cet homme fatigué
Qui n'est pas raccord dans l'histoire
Crachant sûrement sans le savoir
Sur cet enfant dans ma mémoire
Ce vieux complice des cours d'école
Défiguré par trop d'alcool
Trop de piqûres
Trop de picole
Trop de ratures
Ça me désole
Le souffle coupé, je salue
Échange des banalités
Pour masquer la fatalité
La vérité figée, dressée
Devant moi, juste sous mon nez
Sous les ponts l'eau s'est déchaînée

Quittons la mascarade
Fuyons loin camarade
Leur monde est trop petit
Leur vision bien trop fade
Regarde ce qu'ils ont fait
De la vie qu'on voulait
On n'a plus rien à voir
Avec ce que l'on est

Un autre jour qui passe
Et devant moi, cet autre ami
Celui qui dans la classe
Aimait semer la zizanie
Pousser des cris
Mordre la vie
Rire à tue-tête
Par la fenêtre
Combien de fois il s'est enfui
Sans se faire prendre par le maître
Celui qui tous les jours
Passait des heures à dessiner
Pendant que l'on parlait d'histoire
Qu'on nous apprenait à compter
Lui les histoires, il préférait
Sans cesse les imaginer
Dans ses BD, sur du papier
Ses personnages par milliers
Je l'écoute parler de son CDI de banquier
Planqué sous son costume
Qui semble en silence étouffer
Le rêveur qui sommeille en lui
Le fugueur chargé d'utopie
Qui partait croquer dans la rue
Des inconnus dans son carnet
Masqué d'un air posthume
Il ne ressemble plus du tout
A ce bambin que j'ai connu
Sa plume enterrée pour de bon
Il ne mentionne pas son nom
Me dit qu'il habite à crédit
Dans un lotissement hors de prix
Qu'il fait de l'heure sup' à la chaîne
Pour payer ce fardeau qu'il traîne
Pour subvenir à ceux qu'il aime
Qu'il ne peut voir que rarement
A cause de son emploi du temps
Il doit filer, il est pressé
Me prie de vouloir l'excuser
Me sert la main, puis disparaît
Aspiré, mâché par la vie

Quittons la mascarade
Fuyons loin camarade
Leur monde est trop petit
Leur vision bien trop fade
Regarde ce qu'ils ont fait
De la vie qu'on voulait
On n'a plus rien à voir
Avec ce que l'on est

Et me voilà debout sur l'avenue de l'existence
Je tombe face à face avec cet autre qui m'habite
Qu'on a glissé dans mon esprit
Dans une douce anesthésie
La mutation semble finie
Je suis l'adulte que je fuis
Le masque est posé
Pour cacher mes paupières
Mes cernes creusés
Les marques faites hier
Mes arrières pensées
Planquées, dans un sourire forcé
Du genre automatique
Un tic pratique
Que je recycle chaque matin
Glissant dans la foule l'air de rien
Parmi les chiens, les loups
Les miens, les fous, les plaintes
J'entends gémir au loin les craintes
Dans un éclat de rire
Le cerveau qui délire
Soudain l'envie de fuir
Les yeux fermés, serré les poings
Et puis je crie, j'oublie
Je fuis la foule à grandes foulées
Saoulé d'écouter s'écouler
Le flot des mots, l'assaut d'escrocs
Le faux par défaut se dépose
S'expose et pose sur les choses
Un masque blanc ou transparent
Qui transporte dans le néant
L'âme glacée de ces passants
Les beaux sourires sont cartonnés
Façonnés, froissés puis jetés
Je t'ai vu camoufler tes yeux
Le regard garde trop de trace
Effacer celui qui ressasse
Chasser tes pleurs devant la glace
D'un épais trait de mascara
Tu masques un raz de marée noire
Et tu rejoins la mascarade
Camarade amarré piégé
Perdu, cassé, à la ramasse
L'ancre a bientôt touché le fond
Tu fonds, défoncé par le son
De cette voix donnant le ton
Le bon tempo pour avancer
Et les syllabes à prononcer

Quittons la mascarade
Fuyons loin camarade
Leur monde est trop petit
Leur vision bien trop fade
Regarde ce qu'ils ont fait
De la vie qu'on voulait
On n'a plus rien à voir
Avec ce que l'on est



Credits
Writer(s): Julien Morand
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